Photographie et anthropologie en France au XIXe siècle

Pierre-Jérôme Jehel

 Mémoire de DEA « Esthétique, sciences et technologie des arts »
UFR « Arts, Philosophie et esthétique »
Université Paris VIII. Saint-Denis.

Sous la direction de André Rouillé et Sylvain Maresca.

1995

Louis Rousseau, « Esquimaux », 1856 (Photothèque du musée de l’Homme).

Roland Bonaparte, « Collection anthropologique du Prince Roland Bonaparte, groupe de Bushmen photographié sur la scène des Folies-Bergères », Paris, 1886 (Photothèque du musée de l’Homme).

 


Introduction générale

Dans le journal La Lumière daté du 31 mars 1855, un article intitulé  » La photographie et l’anthropologie  » affirmait  » il faut nécessairement que la photographie vienne au secours de l’anthropologie, sans cela elle restera longtemps ce qu’elle est aujourd’hui « . Selon l’auteur, l’anthropologie, après des avancées prometteuses, se trouvait alors dans une impasse. Seul, le recours à la photographie, pourrait lui donner un nouvel élan. Discours partisan s’il en est, mais significatif des possibilités que semblait offrir l’image photographique à l’anthropologie.
La production photographique des anthropologues au XIXe siècle sera en effet conséquente – les quelques deux cent mille clichés que l’on estime être conservés à la photothèque du Musée de l’homme, donnent une idée de l’importance de ce corpus. Une tel engouement indique que le médium photographique était en parfaite adéquation avec cette « nouvelle science » dont les bases théoriques et institutionnelles s’établissaient en même temps que se généralisait la pratique de la photographie. Immédiatement, les savants « anthropologistes » reconnaissent en l’image photographique un outil idéal à leurs recherches.
L’anthropologie du XIXe siècle, ancrée dans une anthropologie physique, issue de la médecine, nécessite un mode de représentation le plus exact possible. La photographie, prenant le relais du dessin et de la peinture, est alors convoquée pour ses qualités de précision et d’exactitude. D’autre part, la recherche des « types humains », à laquelle conduiront ces théories anthropologiques, va faire appel à l’image photographique pour sa disposition à être classée et collectionnnée. Ainsi, dans ces deux grandes lignes directrices de l’anthropologie, l’analyse de l’apparence des corps et la démarche taxinomique, le médium photographique vient parfaitement trouver sa place. Dès lors que les anthropologues établiront des méthodes spécifiques d’observation, ils recommanderont donc l’usage de la photographie. Ils vont cependant tâcher d’en contrôler précisément la mise en oeuvre, car, malgré ses aptitudes « anthropologiques », l’image photographique devra être adaptée à des exigences particulières. Il apparaît en effet que cette double tâche dont est chargée la photographie, n’est pas sans contradiction. Il s’agit d’une part d’objectiver le sujet d’étude, de reproduire exactement une réalité, d’autre part de s’abstraire du réel, pour mettre en évidence des « types généraux ».
Voilà rapidement cette étape de l’histoire commune de la photographie et de l’anthropologie que nous abordons ici. A travers cet immense corpus de photographies, on apprend donc bien davantage sur les anthropologues de l’époque que sur les ethnies concernées, mais l’on apprécie surtout comment une communauté de scientifiques et d’intellectuels va tenter « d’apprivoiser » ce nouveau type d’image qu’est la photographie. C’est pourquoi, à travers cette exploration d’un univers « péri-photographique », puisque l’anthropologue-photographe n’est pas un photographe, c’est bien la photographie elle-même que nous abordons. Peut-on d’ailleurs réfléchir sur la photographie autrement qu’à travers les pratiques et les usages qu’elle induit ?

Dans le cas des applications anthropologiques de la photographie, les réflexions n’ont été jusqu’ici qu’occasionnelles. Il est d’ailleurs frappant qu’aujourd’hui toutes les rares observations sur le sujet, depuis le fameux texte de Margaret Mead de son introduction à Balinese character, a photographic analyse jusqu’aux derniers articles plus sociologiques de Jean-Paul Terrenoire par exemple, commencent toujours par constater et déplorer cette absence de communication entre la photographie et l’anthropologie. Quelques ouvrages ou publications récentes montrent cependant un regain d’intérêt à la fois pour ces images elles-mêmes, issues de démarches anthropologiques, ainsi que pour ce qu’elles représentent, d’un point de vue historique, voire archéologique. Penser la photographie par rapport à l’anthropologie amène à interroger la manière de représenter « l’autre », mais permet aussi d’aborder quelques grandes questions « dialectiques » essentielles que posent la photographie, autour de l’enregistrement d’une réalité et de sa construction subjective, ou encore des implications artistiques que peut avoir une démarche scientifique.
Dans ce travail, nous remontons aux débuts « officiels » de l’anthropologie, c’est-à-dire non seulement quand le terme lui-même  » anthropologie  » entre en usage mais aussi au moment où des théories spécifiques commencent à être énoncées. A partir de là, nous aborderons différentes pratiques photographiques, depuis les premières tentatives jusqu’à l’un des aboutissements les plus conséquents, les  » collections anthropologiques  » de Roland Bonaparte. La question sera donc ici abordée essentiellement à partir de la pratique photographique dans le mileu anthropologique et concernera les indigènes des pays lointains. D’autre part, vu l’ampleur du corpus, cette présentation s’appuiera sur des cas exemplaires précis. A la fin de ce mémoire, nous présentons un inventaire de quelques fonds photographiques parisiens qui, tout en reprenant les noms cités dans le texte, donnera une idée plus large de la cette intense production photographique.

Sommaire:

 I DE L’OBSERVATION À LA REPRÉSENTATION
1/ OBSERVER L’HOMME: CONTEXTE ET ENJEUX DES DÉBUTS DE L’ANTHROPOLOGIE.
– Les origines
– Différents lieux de la pensée ethnologique
– Modèles et influences

2/ REPRÉSENTATION ET HISTOIRE NATURELLE
– La tradition du dessin
– Photographie, moulage
– Louis Rousseau, premier photographe du Muséum

II NORMALISER LES REGARDS
1/ UN CODE ÉTABLI: LE PORTRAIT D’ATELIER
2/ JACQUES-PHILIPPE POTTEAU
– Des zoophytes aux ambassades
– Entre deux normes

III A LA RECHERCHE DES « TYPES »
1/ MÉTHODES ET DÉFINITIONS
– Une notion imprécise
– La tendance statistique
– Signalement et anthropométrie

2/ LA PHOTOGRAPHIE FACE À L’ANTHROPOMÉTRIE
– Critique de l’anthropométrie
– L’approche descriptive

3/ L’IMAGE PHOTOGRAPHIQUE, MÉMOIRE DE LA DIVERSITÉ HUMAINE

4/ ROLAND BONAPARTE, UN ETHNOLOGUE APPLIQUÉ
– Mécène des sciences
– Des  » collections anthropologiques  » à l’herbier de fougères

CONCLUSION

ICONOGRAPHIE
SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE
MUSÉE DE L’HOMME: FONDS ANCIEN DE LA PHOTOTHÈQUE
MUSÉUM NATIONAL D’HISTOIRE NATURELLE
BIBLIOTHÈQUE NATIONALE – CABINET DES ESTAMPES ET DE LA PHOTOGRAPHIE
ARCHIVES PHOTOGRAPHIQUES DU SERVICE HISTORIQUE DE L’ARMÉE DE TERRE À VINCENNES

BIBLIOGRAPHIE DANS LA PRESSE DU XIXE SIÈCLE ET COURTE BIOGRAPHIE DES AUTEURS OU COLLECTIONNEURS DE PHOTOGRAPHIES

BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES ET TEXTES DU XIXE SIÈCLE
OUVRAGES ACTUELS: PHOTOGRAPHIE, ETHNOLOGIE

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